« Beaucoup d’incertitudes planent sur la vie de celle qui fut l’une des autrices les plus lues, les plus jouées et les plus publiées au XVIIe siècle. Marie-Catherine Desjardins, mieux connue sous le nom de Mme de Villedieu, naquit probablement à La Rochelle en 1640, de parents issus de la petite noblesse sans fortune. Bien qu’ils fussent au service de la puissante famille des Rohan-Montbazon, elle connut tôt des déboires d’argent. Pendant la Fronde, la famille se serait exilée à Alençon, d’où son père était originaire. En 1655, sa mère obtint une séparation financière, et Mlle Desjardins retourna à Paris. Protégée par la duchesse de Montbazon, accueillie dans les salons à la mode, elle y côtoya le beau monde, se liant avec nombre de nobles qui allaient devenir ses mécènes et les dédicataires de ses ouvrages. En 1658, elle entama une liaison passionnée, tapageuse et rocambolesque avec un séduisant officier d’armée, Antoine de Boësset de Villedieu, issu d’une importante famille de musiciens de cour, qui lui promit à plusieurs reprises le mariage devant notaire et témoins, mais se désista in extremis. Avant de mourir à la guerre en 1667, criblé de dettes, il vendit à l’éditeur Barbin, qui les publia, les lettres d’amour qu’elle lui avait adressées. De nombreuses zones d’ombre entourent ensuite la vie de Mlle Desjardins, telles que ses activités d’agent secret, son voyage aux Pays-Bas pour un procès qu’elle perdit, et un séjour au couvent en 1672. Enfin, en 1676, elle obtint une pension royale longuement convoitée et, en 1677, épousa un certain M. de Chaste, dont elle eut un fils. Après le décès de son mari, elle se retira à Clinchemore, dans sa famille, où elle décéda en 1683.
Mlle Desjardins connut une certaine renommée dès 1659 grâce à son Récit de la farce des Précieuses, où elle reconstituait la comédie de Molière ; son sonnet érotique, Jouissance, circulait déjà depuis un an sous forme manuscrite, colorant sa notoriété d’un succès de scandale. En 1661, elle publia son premier roman, Alcidamie, ainsi qu’un Recueil de poésies. Prolifique, elle allait toucher à tous les genres : poésies, fables, romans, nouvelles historiques et galantes, lettres, etc.
Cependant, c’est grâce à ses talents de dramaturge que sa carrière littéraire débuta véritablement. Pionnière et audacieuse, elle s’attaqua en effet au genre royal, le théâtre, et souleva une célèbre controverse avec sa première tragi-comédie Manlius, jouée par la troupe de l’Hôtel de Bourgogne en 1662. Attaquée pour sa déformation de l’histoire romaine, la pièce témoigne en fait de l’émergence d’une nouvelle conception de l’Histoire, que l’autrice allait formuler dans la préface de ses Annales Galantes (1670), que Saint-Réal théoriserait dans De l’usage de l’histoire (1671), et que l’on retrouve encore chez Saint-Évremond.
Établissant la passion amoureuse comme l’ingrédient vital qui impulse les intrigues de l’histoire politique, elle accorde la primauté aux héroïnes, comme en témoigne encore Nitétis, la plus romanesque de ses pièces, qui fut représentée en 1663 à l’Hôtel de Bourgogne sans grand succès. Derrière la galanterie des vers, se dévoile une critique de l’absolutisme confrontant l’autonomie du sujet au pouvoir absolu d’un monarque tyrannique. Un thème qu’elle aborda également dans sa troisième et dernière pièce, Le Favori, rédigée en 1664 et confiée à la troupe de Molière. Après cette brève incursion dans le domaine théâtral, elle adopta le nom de plume de Mme de Villedieu et repartit à la conquête du roman, genre qui lui permettait toutes les audaces et assurait sa survie financière. En faisant rebondir la fiction romanesque, elle lui infusa un nouveau souffle, et, selon le Dictionnaire historique et critique de Bayle (1697), ses « historiettes galantes » mirent fin à la mode des romans héroïques de longue haleine.
Goûtée jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, son œuvre romanesque tomba ensuite en désuétude. Exhumée depuis les années 1970, elle suscite un regain d’intérêt en France, mais son théâtre reste mal connu, malgré quelques éditions étrangères. Tout en s’inspirant des pièces des frères Corneille et en puisant dans l’héritage précieux et romanesque, cette œuvre marque l’essoufflement de ce courant : en juxtaposant la grande et la petite histoire, son théâtre ne démantèle pas seulement le mythe du héros « généreux » ; il reflète également la transformation des valeurs, offrant une réflexion pessimiste sur l’homme, esclave de ses intérêts. »
Notice d’Henriette Goldwyn,
de l’Université de New York,
dans Théâtre de femmes de
l’Ancien Régime, vol. 2, XVIIe siècle.
En savoir plus sur Mme de Villedieu : http://madamedevilledieu.univ-lyon2.fr/